Samonios

La nuit de Samonios

Le quarantième jour s’est levé depuis l’équinoxe d’automne et déjà la forêt s’assombrit avec la nuit qui s’annonce. Les derniers rayons de soleil traversent la canopé, la lumière blanche du ciel joue avec l’éclat doré des feuilles.

Encore quelques instants puis l’obscurité gagne, la brume se lève troublant de sa magie les derniers instants de clarté.

Puis plus rien.

Héol est déjà sur place, ses chiens à ses côtés, debout comme à son habitude, il attend les Frères de la Clairière pour ce soir, il a enfilé sa cotte verte, une large ceinture lui dessine la taille, dans sa main gauche il tient une épée.

Nous arrivons sans bruit, par deux ou trois, têtes nues, revêtus de cape noire, nos lanternes sont éteintes.

Nous comprenons que le rituel se tiendra ici alors nous nous affairons. D’abord le centre où le feu sera allumé, l’encens, le sel et l’eau sont disposés à même le sol. Pendant que certains nettoient l’espace avec des branchages, dégageant par ci, par là des branches mortes, d’autres marquent l’espace avec des pierres en un cercle parfait.

Les premières étoiles s’annoncent, la lune timidement occupe le ciel mais la brume fait écran, le ciel disparait.

Un chien redresse la tête, suivi des autres dans sa réaction, ensemble ils regardent dans la profondeur de la forêt, ils se dressent sur leurs pattes, la présence devient réelle, grognements étouffés puis mouvements de queues. Sans attendre les chiens vont à la rencontre de l’ombre blanche qui s’avance.

D’un pas lent le Druide s’approche, une large gibecière enlace sa cape, il marque chaque pas de son bâton.

Il s’arrête devant Héol, le salue de la main puis le Druide porte son regard sur nous. Nous sommes prêts, le cercle est bien en place, le rituel peut commencer.

Le Druide se présente par la porte de l’Ouest et rejoint le centre, là il sort le chaudron de son sac, les bois aux 7 essences et son maillet.

« Esprits du lieu êtes-vous présents car vous nous voyez ici réunis pour fêter Samonios, nous vous remercions d’accepter notre présence et sachez que nous venons en paix »

Nous sommes tous là à écouter, sentir et observer, conscients que c’est ici et maintenant que nous allons consacrer les lieux, le passé est franchi, le futur n’existe pas encore. Nous sommes dans la présence, seule une vague d’air humide traverse le cercle, l’humus recèle de son parfum. Le dernier vol d’un oiseau se fait entendre.

Le Druide plante son bâton et dit « Ceci est l’axe du monde, le centre de chacun, chêne, frêne enfoncent leurs racines au plus profond de la terre et dressent leur couronne vers le ciel, nous tous avons une origine, nous avons tous une existence, nous tous avons un devenir »

Alors le Druide reprend son bâton et trace par trois fois un cercle à l’arrière des Frères, ainsi se dessine l’espace sacré nous séparant du monde profane. Revenant au centre il s’adresse successivement aux officiants :

« La paix est-elle à l’Est ? »

« La paix est à l’Est »

« La paix est-elle au Sud ? »

« La paix est au Sud »

« La paix est-elle à l’Ouest ? »

« La paix est à l’Ouest »

« La paix est-elle au Nord ? »

« La paix est au Nord »

« Le temps est venu de consacrer le cercle » Les officiants à tour de rôle passent devant chacun de nous.

« Voici l’encens, léger comme un souffle d’air sous l’aile de l’Oiseau il arrive de l’Est, devant nous il s’élève au ciel portant nos espérances au plus haut vers les Dieux »

« Voici le feu, brûlant et chaud comme le souffle du Cerf, il franchit la porte du Sud avec force, saurons-nous contenir les humeurs de notre esprit avec dignité »

« Voici l’eau de l’Ouest, claire et fraîche, source de vie et de fécondité, le Poisson y nage et traverse ses courants »

Puis le Druide reprend :

« Puisque la paix repose sur le cercle et que chacun de nous est face à son centre, invoquons les Dieux de nous accorder leur clémence et de nous guider dans notre cérémonie »

Prions tous en chœur en nous tenant par la main.

Accordez-nous Ô Déités votre protection

Et avec votre protection, la force

Et avec la force, le savoir

Et avec le savoir, la compréhension

Et avec la compréhension, la justice

Et avec la justice, l’amour

Et avec l’amour, l’amour de toutes les formes de vie

Et dans l’amour de toutes les formes de vies, l’amour des Dieux et des Déesses.

De l’Innommable, de l’Innommable.

Pour porter la prière nous poussons un long et profond AWEN par trois fois.

Après un moment de silence chacun reprend sa place dans le cercle.

« Ce soir nous ouvrirons les portes du Sydh et nous renouvellerons le culte des ancêtres, auparavant nous devrons déposer dans le chaudron tout ce qui nous encombre »

Alors le Druide se met à genou et frappe la terre de son maillet pour réveiller le Dagda et le faire remonter à la surface de la terre. L’instant est dangereux, nous nous regroupons au centre, serrés l’un contre l’autre, un voile noir nous recouvre.

Le Dagda connait les hommes depuis leur origine, c’est un Dieu puissant implacable ne supportant ni la fuite devant soi ni l’aveuglement, il habite la terre dans ses profondeurs, là où les hommes enfouissent leurs secrets. Le Dagda emprunte chaque arcane de notre esprit, traverse les pensées et les ressentiments, découvre tout ce qui est caché et le pose sous notre regard comme le serpent lové sous la pierre est surpris d’être découvert.

Il sait, que je sais. Au mieux je peux me reconnaître tel que je suis et espérer, au pire je réfute ce que je sais de moi, alors, le Dagda m’entraine avec lui dans l’obscurité et la froideur de la terre pour y dépérir.

Ioun, incarne la Vieille qui annonce le Dagda, elle tourne autour de nous pour souffler à nos oreilles ce que nous n’osons dire. Elle ne peut nous voir, nous ne pouvons la voir, le voile dans la nuit nous sépare mais nous entendons sa voix lente et monocorde à peine si nous la percevons :

« Orgueilleux, envieux, jaloux, avare, peureux, menteur, traître, paresseux… »

Parle t’elle de moi ? Qui suis-je en fait, oserais-je me poser les vraies questions à mon sujet ? Suis-je prêt à me rencontrer ?

Subitement la Vieille arrache le voile et nous voilà comme démunis. Elle s’approche de moi et me tend le chaudron.

« Qu’as-tu à disposer dans le chaudron, quelle pensée, quel sentiment, quel regret, quel espoir accompagne ton don ? Dépose-le au fond, seul le Dagda le connaîtra »

Je remets un gland de chêne que je portais sur moi depuis 40 jours, il était vert quand je l’ai cueilli depuis sa couleur s’est assombrie, tous les jours je le caressais au fond de ma poche et je lui ai tout confié.

Puis la Vieille s’adresse à chacun d’entre nous pour déposer nos offrandes.

Le tour terminé, la Vieille dépose le chaudron au centre, là où tout doit revenir. Le Druide y verse le bois sec et l’allume, le feu consume chacune de nos pensées et de nos secrets dans le plus grand silence. Le temps est en suspend, les regards figés dans les flammes.

La dernière lueur du feu vacille, le Druide remue les cendres chaudes au creux du chaudron où tout se mêle puis il creuse la terre à l’endroit qu’il avait frappé de son maillet. Il renverse le contenu du chaudron dans le trou et le recouvre de la terre fraichement remuée.

« Venez et touchez, vos dons sont là, vous pouvez sentir leur chaleur et vous en percevrez leur souvenir »

A ce moment la brume se déchire laissant apparaître les étoiles dans la trouée des arbres, terre et ciel renouvellent leur union dans un instant unique.

« Relevez-vous mes Frères, le moment est d’ouvrir les portes du Sydh. Héol protège-nous »

D’un large mouvement circulaire Héol crée une ouverture vers l’Occident puis il s’avance d’un pas, l’épée dans la main gauche car seule une bonne intention saurait nous sauver.

Puis le Druide dit :

« Les portes du Sydh sont ouvertes l’au-delà est devant nous, les ancêtres respirent par notre bouche, leur sang coule dans nos veines. Le moment est de leur dire nos regrets, nos amours et nos espoirs, entendre enfin ce que nous aurions aimé qu’ils nous disent, leur dire ce que nous n’osions pas leur confier. Le moment de la résilience est venu »

« Celui ou celle qui n’a jamais croisé ses ancêtres, son père, sa mère sachez qu’ils sont là »

« Celui ou celle qui n’a pas de descendance, le grand tout devient votre famille pour l’éternité, nous allons tous vers l’Unique et l’Innommable » 

Pleurs, soupirs, soulagements, silences et sourires s’expriment dans le cercle.

« Que les Esprits acceptent de retourner chez eux. Nous restons ici. Remercions-les de cet instant d’union. Héol referme la porte »

Une fois le rituel fermé, les Frères dispersent le cercle et s’en vont calmes leurs lanternes allumées.  

Samonios 

Nuit du 31 octobre 2020

Ecoutons les chanter