Le Pays Interdit
Là où le monde des hommes s’arrête, les animaux viennent à leurs secours car les portes du SIDH mal refermées et laissent les esprits envahir la terre.
Droit d’auteur et copyright : André HIRTZ juillet 2016
Chapitre 1 – Un matin pas comme les autres.
Les oiseaux avaient déjà commencé à chanter et partageaient mon rêve quand un rayon de soleil coquin et taquin me réveille. Il est blanc perçant. Pourtant j’ai encore envie de dormir un peu, il fait bon chaud, tout est calme. La respiration est douce, je me sens léger, juste entre le sommeil et le réveil.
Sauf que le rayon de soleil s’est trouvé une alliée avec une mouche. Elle se pose sur le bras et me chatouille, je rentre le bras pour remonter la couverture.
Je l’entends voler puis elle frôle ma joue et sous la surprise j´ouvre un œil. Le rayon de soleil en profite pour se rappeler à son bon souvenir en m’éblouissant. Je tire la couverture sur la tête et enfin je me retrouve seul avec mon dernier rêve.
… je courrais, mes pieds semblaient voler, rien n’était assez haut que je ne puisse l’atteindre, je voyais tout d’en haut, j’entendais distinctement tout le monde, la lumière était tendre comme une caresse,…
La mouche a repéré le pied qui dépasse de la couverture et vient se poser dessus. D´abord immobile. Je devine sa présence plus que je ne la sens. Plus rien, le sommeil est plus fort et m’invite à retourner dans ce pays. La mouche bouge et me chatouille, je rentre le pied sous la couverture pour avoir la paix mais un orteil dépasse et la mouche y atterrit en un éclair.
C’est quoi cette mouche insistante je me redresse pour la voir et je prends le soleil en pleine figure, maintenant je suis réveillé pour de bon, c’était certainement une ruse pour me sortir du lit.
En me redressant avec vivacité je suis pris d’un léger vertige, me voila bien éveillé mais tourneboulé. Il me faut un instant pour retrouver mes esprits alors je repose la tête sur le coussin, je ferme les yeux et j’attends.
Maintenant c’est une petite fraîcheur qui entre par la fenêtre entrebâillée, elle annonce le vent de l’est qui se lève avec le soleil. Il ouvre les portes aux forces de l´orient, il est froid et chasse devant lui les froidures de la nuit, il arrive en une seule vague longue et intense. Petit frisson qui m’invite à me replier entièrement sous les couvertures.
Dehors le vent frôle le carillon dont le tintement me rassure. Il est vraiment tôt.
Toujours blotti sous la couverture je glisse tout doucement sur la pente du réveil quand l’entretien de la veille me revient à l’esprit. Il était question d´un pays interdit et d’invasions, de bouleversements terribles, de forces et d’esprits contre lesquels les hommes sont démunis. J’avais oublié tout cela, puis j’avais rêvé, en fait je ne sais plus si j’en ai parlé ou si j’en ai rêvé.
Quand la tête commence à travailler le rêve s’estompe, Alors, debout, courage.
Je m’approche de la fenêtre, le ciel est très clair et déjà les corbeaux sillonnent le ciel en quête d’informations, hier soir, l’un d’eux, Korvos m’avait laissé entendre ces quelques nouvelles.
Il les avait lui-même appris d’une chouette qui lui avait raconté les murmures de la nuit précédente. Les chouettes sont les seules à pouvoir dialoguer avec le vent car leurs plumes se plaquent ou frémissent selon que le vent a croisé les esprits ou traversé la lumière des étoiles. Autant de projets secrets qui vont dans la nuit.
Certains hommes perçoivent des bribes fugaces de ces messages les autres ont en juste des sensations plus que des mots que les oreilles entendraient. Cela se présente en vagues plus ou moins fortes qui s’échouent sur les bords de notre conscient, nous en avons des frémissements de la peau ou comme un resserrement du ventre. Les chouettes sont les seules à comprendre alors que la peur nous effleure la nuit, seuls dans la forêt avec nos pensées.
Me voila bien réveillé, il d’ailleurs temps que je reprenne le sens des réalités et que je me secoue pour me débarrasser de ces histoires à faire peur. Voyons j’ai déliré dans mes rêves cette nuit ou j’ai trop bu et puis je ne connais pas ce pays interdit.
Le vent d’est a continué son chemin devant le soleil pour annoncer le jour plus loin dans le monde. Enfin la chaleur des rayons du soleil se précise, nouveau petit frisson sur la peau entre chaud et froid.
Cette fin d’été s’annonce merveilleuse, riche en couleur et en parfum. Pendant que le café coule je m’installe sur la terrasse, déjà un bout de gâteau en bouche, le temps d’attendre.
Pourquoi s’en faire, il fait bon, il fait jour. Je remplis ma tasse puis je me cale bien sur le banc face au soleil, au chaud pour tourner la page de la nuit et bien commercer ma journée.
« Bonjour » Les chiens aboient eux mêmes surpris par ce bonjour. Je tourne la tête et le temps de retenir les chiens je vois un poussin jaune sur la limite du terrain.
« Que veux tu poussin ? »
« C’est l’odeur qui a guidé mes pas »
« Bien, c’est du café »
« Du café ? Je ne connais pas le café, cela sent bon. C’est mon premier jour et je ne sais pas si j’aime le café »
« C’est donc pour cela que tu viens jusqu’ici ? »
« Oui et non seulement car j’ai plein de questions dans ma tête et peut être que tu pourras m’apporter des réponses»
« Admettons. Viens et installe toi, je te sers une tasse. Avec ou sans sucre ? »
« Amusant, je ne savais pas qu’il faut ajouter du sucre, c’est quoi du sucre ? »
« Ou du lait, juste une nuage »
« Du lait ? »
« Prends déjà cette tasse et goûte. C’est donc ton premier jour sur terre et tu passes de découverte en surprise. Au moins tu commences avec le soleil et le beau temps. »
« Oui tu dois avoir raison, le temps est certainement beau sauf que je suis déçu, aucune poule n’a pu me dire me dire ce que je fais ici, ni pourquoi je suis là dans les plumes d’un poussin. Leur seule réponse a été de m’affirmer que plus tard je serai un coq »
« Donc tu seras un coq »
« En fait, je n’en sais rien, elles le disent alors cela doit être vrai. Quand je leur demande pourquoi je suis là elles me répondent …parce que plus tard tu seras un coq…
« Alors j’ai demandé aux coqs qui ne m’ont pas répondu car trop occupés à s’observer entre eux. »
Quand je demande aux poules d’où je viens, elles me répondent d’un oeuf et pourtant je n’en garde aucun souvenir. Mais ma surprise a été de voir sortir un oeuf d’une poule et j’ai eu peur de voir un coq sortir de moi, je n’ose pas l’imaginer. »
« Que de questions pour un premier jour, comment t’appelles tu ? »
« Les poussins n’ont pas de nom, les poules n’ont plus d’ailleurs, ni les coqs. Tous les poussins sont jaunes sauf les gris qui n’ont pas de noms non plus, c’est triste. Comment peut on m’appeler si je n’ai pas de nom ? Qui pourrait me reconnaître parmi tous les poussins. Ce matin quelqu’un a dit …petits, petits… alors tous les poussins sont venus, les poules, les coqs aussi, cela m’a déçu. Et donc, j’ai refusé de me sentir concerné et je suis parti. Toi tu as un nom ? »
« Moi c’est Héol »
« Enchanté Héol, quelle chance de pouvoir te dire Héol et de savoir que c’est de toi qu’il s’agit, merci pour le café. Tout compte fait je crois que le café n’est pas fait pour les poussins. Mon cher Héol, je te remercie pour ton accueil, je vais continuer mon chemin, je ne sais pas où je vais, certainement que des réponses se présenteront sur ma route »
« Héol, s’il te plait, juste avant que je te quitte, dis moi quelles questions je devrais poser au chemin si je souhaite des réponses »
« Demandes lui déjà si tu es heureux »
« Heureux, être heureux ! Peut-on être heureux sans savoir ce que veut dire être heureux ? »
« Etre heureux c’est savoir accepter et apprécier le bonheur »
« Bonheur ! J’ai vraiment beaucoup de choses à découvrir »
« Tu pars vers où ? »
« Aucune idée, là bas ou ailleurs puisque je ne sais pas ce qu’il y a au bout du chemin, j’espère que les réponses se présenteront, même dans le désordre, même celles qui ne répondent à aucune question que je n’aurai idée de poser. Alors à bientôt peut être. »
« A bientôt peut être »
Ma tasse est vide, je rentre me rechercher du café. A la fenêtre à l’arrière de la pièce la lumière du soleil est traversée par un reflet noir bleuté et furtif. Amusant ce jeu de lumière, je m’approche de la fenêtre pour voir. Rien.
Rien ! Rien c’est rassurant pourquoi faudrait-il toujours que quelque chose survienne et attendre que cela se produise. D’ailleurs à propos d’attendre c’est bien aujourd’hui que Ptitim devrait venir. Nous irons nous promener et faire la sieste sous un arbre, il va faire très beau.
Le reflet joue à nouveau avec la lumière, cette fois plus marquée mais toujours aussi fugace laissant au passage le sentiment d’une présence. Je sors la tête par la fenêtre, toujours rien, je crois que mes yeux me jouent des tours.
Je me retourne vers la porte, inondée de soleil, je suis légèrement ébloui quand apparaît une ombre portée par un souffle d’air. Battement d’ailes, l’oeil doré, il me fixe, immobile, je ne me ferai jamais à cette soudaineté dans l’arrivée juste annoncée par une présence.
« Bonjour Korvos »
« Bonjour Héol »
« S’’il te plait ne passe plus derrière la maison de façon aussi furtive quand tu viens, c’est dérangeant et je me pose plein de questions »
« Justement j’en ai une à te poser. Huggins m’envoie te demander si le vent a soufflé par ici hier soir ? »
« Je crois que oui car le carillon a joué une bonne partie de la nuit il m’a accompagné pendant que je finissais le fond de ma bouteille »
« D’où venait-il ? »
« De l’est, seul le vent d’est peut jouer avec lui »
« Des étoiles donc… »
« A t’entendre je constate que vous êtes toujours aussi inquiets »
« Certes nous sommes en garde et à l’écoute, tous les corbeaux sont parti demander à leur amis par où est passé le vent. Ce soir nous en reparlerons au conseil avec la chouette »
« Korvos, veux-tu un bout de gâteau au chocolat, il est tout frais »
« Merci, non, je dois repartir »
« Me voila à nouveau seul »
« Tu avais donc déjà de la visite ? »
« Oui un poussin jaune qui découvre le monde et qui a goûté mon café»
« Ah bon ! »
D’un battement d’ailes Corvos est reparti. Le sujet de la discussion que nous avons partagée hier semble vraiment le préoccuper.
La discussion d’hier soir semble fondée car tous les émissaires sont partis chercher des informations au sujet du pays interdit. Il faudra bien un jour que Korvos me parle de ce pays comment il est, qui en est le maître ?
Des légendes terribles l’entourent il paraîtrait que des guerrières à cheval portées par un vent doux relèvent les valeureux tombés au combat pour les inviter au festin. Les guerriers au combat juraient de ne jamais survivre à leur chef. Un pays de guerres, de sang, de larmes et d’honneur dans la mort.
Pour ma part je préfère la douceur de cette matinée bien loin de ce pays interdit qui est situé là-bas très loin vers le nord. La légende raconte qu’au nord du nord serait le sanctuaire.
Les légendes sont autant d’histoires vécues dont nous avons oublié les vérités, savoir sans avoir connu. Sur ce point je crois que j’en sais déjà de trop. Bien qu’il me semble que depuis quelques jours les nuages s’amoncellent au nord. D’abord quelques-uns puis plus nombreux, plus épais, plus gris. J’ai beau leur tourner le dos ils sont toujours là.
Le soleil en dessine les contours, lourds avec des nuances du gris au noir, au début je croyais que le temps allait se gâter mais la présence de ces nuages devient gênante tous les jours un peu plus depuis le dernier solstice. Tout autour le ciel reste bleu limpide et clair.
Bon allons voir dans le pré du bas si les champignons ont poussé durant la nuit, hier j’en ai trouvé un plus grand que mes deux mains réunies. Les chiens s’élancent devant moi prenant de l’avance et pour bien se dégourdir les pattes. Course poursuite et jeux de crocs tout en frétillant. La journée s’annonce vraiment très belle.
Le jour avance et la chaleur arrive avec la sensation agréable du soleil sur la peau.
Les chiens sont de plus en plus sauvages et j’aime les voir courir.
Le champignon géant est toujours là j’ai l’impression qu’il est encore plus large que la veille plus blanc aussi. Sous l’effet de la chaleur la partie charnue du chapeau se relève libérant des spores.
Je me baisse pour le toucher et surtout le sentir. En le frôlant son parfum se révèle humide, boisée, poivré, et chaud. Je ferme les yeux pour le sentir vivre, j’inspire à fond il agit comme une drogue et voilà que mes pensées s’évadent.
Les aboiements des chiens me ramènent dans le pré. Retour un petit peu brutal.
Aümda était là, voilà pourquoi les chiens ont réagit
Aümda belle comme à son habitude, de cette beauté paisible que le temps n’altère pas avec toutefois un soupçon de fatigue dans le coin du regard.
« Bonjour Aümda tu es de retour il y a quelques temps que je ne t’ai plus vue »
« Bonjour Héol, oui cela fait plusieurs mois et la saison se termine alors je suis venu voir si l’herbe ici est encore verte et grasse »
« Il me semble que l’herbe sera à ton goût, dis moi Aümda es-tu seule ? »
« Oui je suis parti tôt ce matin pour me poser près de chez toi. Tu sais que nous sommes un peuple de paix et que nous recherchons toujours le calme alors je suis ici en éclaireur »
« Tu es la bienvenue ma chère Aümda d’autant qu’après chacun de vos passages la terre est plus fertile »
« Certes c’est un cadeau des plus naturels mais c’est une façon de remercier pour l’accueil qui nous est réservé. Les vaches sont paisibles elles donnent tout, les hommes leur prennent tout, notre lait, notre chair et jusqu’à nos petits. Notre seule issue est dans le lâcher prise »
« Installez-vous dans le pré ici vous ne risquez rien. Tu me paraîs très fatiguée c’est ton dernier vol qui était pénible ? »
« Pas vraiment nous volons toujours lentement en cherchant les vents porteurs. Hier soir aucun d’entre nous ne s’est envolé car le vent venait de l’orient alors nous avons célébrer les étoiles. Par chance les Dieux étaient avec nous et la voûte céleste était d’un bleu profond. Nous sommes toutes fatiguées car depuis longtemps nous n’avons pas célébré aussi tardivement. Les étoiles semblaient tristes et cela ne leur ressemble pas c’est un mauvais présage »
« Je les trouve pourtant toutes identiques »
« Tu sais Héol le dialogue avec les étoiles est une conservation entre deux mondes intérieurs. Entre l’infini qui vit dans chacune d’entre nous et l’infini de l’espace. Impossible de dialoguer si tu t’attaches à l’heure présente. Notre temps n’est pas votre temps par le lâcher prise nous restons dans l’instant. Ce moment est unique et infini nous y respirons l’air de nos ancêtres et déjà nous vivons le futur tout en étant dans le présent.
Oui je disais que les étoiles semblaient tristes et cela nous a rendu tristes. Ce matin lorsque le dernier éclat s’est éteint nous avons ressenti la douleur et l’inquiétude
Les étoiles ont vu ce que nous n’avons pas encore vu et ce qu’elles ont vu ne nous rassurent pas »
« Ne t’inquiète donc pas Aümda les dieux et les étoiles vous protègeront. »
« Mon cher Heol tu sais bien que les dieux sont loin, ils nous voient, nous parlent mais n’agissent pas. Quelques fois des esprits se manifestent de leur part mais sont-ils bons sont-ils mauvais ? Malgré tout le discernement dont nous essayons de faire usage, nos pensées peuvent être soumises à de mauvais esprits. Les dieux sont loin, s’ils pouvaient agir nous serions dans leur monde et leur monde n’est accessible qu’après le grand passage.
« Pouvons-nous séjourner ici quelques temps pour nous reposer »
« Oui bien sûr vous êtes toujours les bienvenues et si d’aventure un jour je n’étais pas là n’hésitez pas à vous installer »
« Je te remercie pour ton accueil, je vais les chercher elles ne sont de l’autre côté de la montagne cachées derrière la forêt, chez toi nous resterons dans les près du bas pour ne pas te déranger »
« À propos Korvos m’a rendu visite ce matin il est très inquiet également. L’obscurité qui se lève à l’horizon lui paraît très inquiétante. Ne sois pas surprise qu’il revienne pour te parler il cherche des informations qu’il tente de comprendre. Alors à ce soir installez vous comme vous le souhaitez je passerai vous saluer peut-être que nous pourrons partager un moment ensemble »
« Nous t’attendrons avec grand plaisir. Bon, je vais m’envoler pour chercher mes sœurs et mes frères.
De nouveau seul, quelle curieuse journée tous semblent inquiets. Ce soir au retour de Korvos je proposerai quelques échanges avec Aümda juste histoire de savoir, juste histoire de partager
Au fait où voulais-je aller de ce pas mais où sont les chiens, une fois encore j’ai l’esprit ailleurs.
Ah oui mes pieds voulaient m’amener au jardin du bas pour voir comment grandissent les plantes. Tout à l’air au mieux il a fait chaud, Il a plu un moment cette nuit puis il fait chaud à nouveau c’est parfait pour le jardin. Juste ces fichues limaces qui font concurrence aux oiseaux. Cette bande de coquins se sert toujours avant moi. Je vois et je goûte les groseilles vertes seuls les oiseaux les dégustent à point. Tiens des empreintes de biches et de cerfs ils ont dû passer par là.
Le jardin adossé à la forêt est un passage heureux pour Ies habitants de la forêt souvent la lumière change selon la présence des uns ou des autres. Petit tour d’inspection je vois ici une mauvaise herbe, il faudrait dire une herbe non invitée. Là surprise ! Quelle mauvaise odeur qui semble venir de cette étoile rouge. Je n’ai jamais vu une chose de telle sorte, pouah qu’elle sent mauvais. Ses branches ressemblent à des doigts crochus, vraiment je n’aime pas du tout, je vais l’arracher
« Bougre d’homme, ne touche pas ! »
L’injonction est forte, la voix profonde impossible de ne pas obtempérer
Qui me parle ainsi décidément je ne serai jamais seul aujourd’hui
Je regarde autour de moi, rien, d’un côté le pré, vide, de l’autre la forêt. Là du côté de la forêt entre le feuillage j’aperçois deux yeux sombres.
« Qui est là, répondez »
« Tu veux être empoisonné »
« Qui parle, montre toi sors de ce feuillage »
Rien, plus un bruit, les yeux ont disparu juste le feuillage qui bouge puis le renaclement d’une gorge, une odeur chaude, un souffle fort. Les chiens se placent devant moi, face au feuillage, les poils hérissés, babines retroussées ils sont prêts à se lancer sur l’intrus, il suffit d’un mot.
La tension monte d’un cran, le feuillage ne bouge plus mais je ressens de plus en plus cette présence prête à bondir.
Le bâton posé derrière le banc est toujours là, c’est une branche de chêne dont la partie haute est noueuse, l’ensemble est lourd comme une matraque, je tends la main pour le prendre, nous sommes prêts pour faire face.
« Sors ou nous avançons pour te déloger »
« Vous n’êtes ni assez forts ni assez nombreux pour venir à bout. Je vois que tu es toujours aussi intrépide mon grand, décidemment tu ne laisse pas intimider » la voix est grave, profonde, lente. Gaïa baisse les oreilles, je la vois se calmer et du coup les deux autres chiens relâchent leur tension. Moi aussi j’abaisse mon bâton. Gaïa a reconnu la voix et j’ai confiance en elle.
Les branches s’écartent et voilà qu’apparaît Cermun, le grand Cerf, Roi de la forêt. Trente six cors ornent ses bois, il est impressionnant de puissance et de calme, à son passage les branches s’écartent comme un rideau et en un instant il remplit tout l’espace.
« Cette plante n’est pas comestible, elle pue, elle fait déshonneur à la forêt, si tu l’as touche tu pueras et si tu porte tes doigts à tes lèves tu risques d’être mal, l’Archer d’Anthurus n’est pas de chez nous, les hommes l’ont ramenée de l’autre côté de la terre comme tant d’autres choses. »
Les chiens se précipitent pour faire la fête à Cermun qui doucement baisse la tête pour se laisser renifler.
« Cermun, que fais-tu par ici, habituellement tu vis de l’autre côté de la montagne avec ta harde »
« Nous avons quitté l’autre versant pour chercher un peu de paix et de soulagement, le manque d’eau, la fatigue et les braconnages nous ont rendu la vie impossible, deux princesses ont été tuées par des gueux, images terribles »
« Voilà bien des misères, tout paraît si calme en surface et pourtant je vois bien que tous sont inquiets, que puis-je faire pour toi ? »
« Oui nous partageons les mêmes inquiétudes, le nord s’assombrit chaque jour un peu plus, ce nuage au loin ne nous dit rien qui vaille »
« Où sont tes compagnons ? »
«Derrière les rochers à côté de la carrière, ils attendent. Je viens en éclaireur m’assurer de mon propre chef de la situation ici. Nous avons besoin d’eau et de repos »
« Venez, reposez-vous. Ici vous serez en sécurité d’ailleurs ce soir Aümda et ses sœurs se poseront dans le pré, l’herbe est encore assez verte et le pré est grand pour nourrir tout le monde. Pour ces princesses, dis moi, elles sont mortes »
« Mortes, une mort triste, ces gueux sont passibles du mépris de tout être, ils tuent pour le plaisir, pour l’arrogance avec un courage bien calé sur la crosse de leur fusil. Le combat est inégal. Je préfère ne pas en parler maintenant, le souvenir est blessant et nous attendons la lune noire pour rendre un hommage aux princesses. »
« Désolé »
« Vois-tu la brise qui s’échappe de la forêt alors que le jour est déjà bien levé, c’est la forêt qui nous venge, ils n’en sortiront plus et leur souvenir s’effacera laissant la place à l’opprobre »
« Il ne reviendront jamais ? »
« La forêt est ainsi faite que l’injustice rattrape les chasseurs il y aura toujours dans leur coeur une amertume malgré leur prétendu code, et, si la forêt ne les engloutie pas c’est leurs nuits blanches qui feront peu cas d’eux. Les perles noires de la mort ornent leur gloire. »
« Brrr, tu me donnes la chair de poule. Attends, je passe devant, nous irons ensemble chercher les autres de ta harde »
« Non merci, ne crains rien, je saurais y aller avec prudence, nous nous installerons dans le pré à la lisière du bois. »
« Alors je te laisse à ton devoir, je sais que vous êtes courageux, même le combat avec les loups ne vous fait pas peur, sois prudent malgré tout »
Cermun se retourne, toujours aussi doucement, la puissance de son corps est visible, de cette puissance qui s’exprime dans chaque muscle semble prêt à donner l’impulsion. Respect.
Bon, nous nous approchons de midi. Il temps d’aller préparer le repas, un peu de vin sera le bienvenu. Vraiment cette journée n’est pas comme d’habitude.