Le bestiaire, une autre vision du monde

Le Moyen-âge s’étend de 476 ap. JC à 1463. 

Mille années fondatrices d’une idée de la France, son esprit, son organisation, un millénaire de culture qui aura progressivement apporté de la cohérence et créé le sentiment d’appartenance autour du Roi. 

Il faudra attendre le siècle des Lumières pour retrouver un mouvement aussi puissant conduisant les français à adopter les valeurs de la République. 

Aujourd’hui les choses semblent s’accélérer et la société que nous connaissons, sous couvert de courants progressistes a inexorablement gommé les racines d’un patrimoine culturel et tiré le voile de l’oubli sur le passé de la France.

Les pages de l’histoire se tournent pour s’ouvrir sur de nouveaux chapitres, certains sont brefs d’autres sont refondateurs. Thèbes et Rome se sont également inclinés devant le cours des pensées et les hommes témoins de ces époques qu’ils aient apprécié ou non la nouvelle aventure humaine auront contribué aux changements.

Les sociétés bougent selon que les hommes déplacent les curseurs sur l’échelle des valeurs pour définir ce qui devient acceptable ou non à l’idée du plus grand nombre.

Une hypothèse tout à fait plausible permet d’établir qu’une société en devenir crée le doute sur les vérités du moment, condamne les symboles qui la dérange dans sa nouveauté et qu’elle remplace par ceux qu’elle considère comme avantageux à sa progression.

Ce fut le cas avec l’émergence du christianisme.

En 312 ap. JC Constantin fut le 1er Empereur Romain à se convertir au christianisme il fut suivi par Théodose qui promulgua l’édit de Thessalonique en 380 ap. JC. A ce moment le pouvoir impérial se rangea derrière les résolutions du Concile de Nicée (325 ap. JC) et considéra comme hérétiques toutes les autres formes de christianisme.

Pourtant en ce 4ème siècle de notre ère la majorité de la population était païenne, les chrétiens représentaient moins de 10% mais le cours de l’histoire était déjà en marche.

Le bestiaire en fut particulièrement impacté donnant aux animaux une nouvelle figure symbolique dont la portée politique devint considérable. 

Le Physiologos bestiaire chrétien du 2ème au 4ème nous rapporte une interprétation de la connaissance du monde animal principalement fondée sur des corrélations avec les textes bibliques.

La science n’y trouve aucune place, seul le principe de la justesse des textes bibliques devient la référence à l’explication du monde même si à nos yeux cela nous paraît contraire à la réalité au point d’en être abasourdis.

Cet ouvrage est d’une forte empreinte grecque et s’inspire principalement du nouveau testament et permettra aux chrétiens depuis le 5ème jusqu’au 12ème siècle de se construire une identité libérée de ses antécédents à la fois païens et juifs et de connaître son émancipation théologique.

Par ailleurs nos livres d’histoire ne rapportent que peu d’informations sur les païens d’occident tels que les Germains sinon les chroniques de Jules César dont le contenu s’avère de plus en plus soumis à interrogation sur leur objectivité.

Les peuples allant du Danube à la mer du Nord sont païens et le resteront longtemps. Leurs cultes méritent autant d’attention que celui que nous accordons aux religions du Livre car nous touchons aux croyances des hommes, à leur foi. 

Pourtant le corbeau en fit les frais. 

Le corbeau

Le corbeau

Habile conseiller d’Odin dans les pays nordiques, de Wotan dans la culture germanique, également le compagnon de Lug, le corbeau a l’oreille des Dieux. La tradition rapporte qu’il existe deux corbeaux Hugin et Munin, la pensée et le souvenir, tous deux parcourent le ciel pour mieux découvrir le monde. Leur perspicacité est très aigue, leur oeil doré scrute chaque recoin du paysage et de leur croassement incessant ils signalent leur passage. Celui qui a été vu par les corbeaux sera connu du Dieu. Ainsi le corbeau est le messager par excellence et ne saura se taire. Sa noirceur indique également qu’il traverse les intuitions et de messager le corbeau devient conseiller. 

Le Physiologos retiendra sa noirceur et son caractère omnivore pouvant le faire consommer de la viande de cadavre, il mangera d’abord la cervelle du mort, siège de son âme. Le corbeau donne naissance à des petits qui sont blancs, il ne s’en occupera pas et plus tard ses petits l’abandonneront à sa vieillesse. En latin son cri est associé à « cras » c’est-à-dire demain, demain et fait de lui un procrastinateur de la foi. En Islande le corbeau est associé au voleur et il serait dangereux de confier une plume de corbeau à un enfant qui apprend à écrire. Le corbeau sera pour les chrétiens l’animal défaillant dans sa mission celui que Noé envoya en éclaireur et qui ne revint jamais. 

Quoi de plus normal que d’associer le corbeau à l’oiseau de mauvais augure et de le clouer à la porte d’une grange car sa présence et son croassement n’annoncent que la guerre et la mort.

Au Nord, à l’Est, à l’Ouest et au Sud de l’Europe le corbeau est devenu l’animal à éviter.

Le sanglier

Le sanglier

Animal sacré chez les Celtes, il symbolisait le courage, la force et l’intelligence. Son souffle et le bruissement des fougères qu’il traverse en courant droit devant lui signalent sa présence. Le sanglier est l’attribut de la classe des Druides pour la sagesse qu’il incarne. Le sanglier est l’esprit des forêts.

Sanglier celtique

Animal psychopompe il accompagne souvent les âmes des sages qui s’avancent vers l’autre monde leur apportant force et discernement devant les embûches qui pourraient se présenter.

Les Germains l’appellent Eber, nom que portent fièrement de nombreuses familles.

Le sanglier est considéré comme un combattant redoutable qui ne recule pas devant le danger.

Certaines légions romaines arboraient le sanglier en tête de leur colonne pour signifier leur engagement et leur détermination au combat.

Au moyen-âge la chasse au sanglier est une affaire de courage où l’homme et la bête s’affrontent, chacun met sa vie en danger. Chasser le sanglier était considéré comme une épreuve. 

Le Physiologos lui reconnait peu de qualité, un animal brutal, sale, puant qui se vautre dans la boue et paresseux une fois repu. Il incarne le mal les hommes diront qu’il détruit les vignes du Seigneur.

Le sanglier incarne désormais le mauvais chrétien

Cette image est persistante, aujourd’hui encore le sanglier est désigné comme un nuisible et peu de gens comprennent qu’ils ne font que de poursuivre une allégorie associant le sanglier au mal.

Sans lever de polémique il faut rappeler que 40 000 sangliers sont élevés chaque année pour la chasse et que ce nombre est croissant. Ainsi dans l’esprit des gens une idée peut être entretenue de prolifération et de régulation.

Voir l’article 30 millions d’amis.

Le charadrios

Oiseau de légende au plumage blanc et à l’œil doré est l’invité des jardins des Rois et des Princes. Certains disent qu’il s’agit de la mouette, d’autre du pluvier. Par sa blancheur le charadrios incarne la pureté.

Lorsque le charadrios regarde le malade et que l’échange se fait par les yeux, l’oiseau se charge de sa maladie. L’heure de la délivrance est proche, l’oiseau s’envole jusqu’à se brûler les plumes aux rayons de soleil. Revenu sur terre, l’oiseau se régénère à une source vive alors le charadrios et le malade sont tous les deux sauvés.

Au contraire si l’oiseau détourne son regard, c’est un mauvais présage et le malade assurément mourra.

Pour le chrétien perdre espoir est un pêché.

La licorne

La licorne

Autre animal de légende qui participe à la pensée du moyen-âge, ceux qui l’auraient vu lui accorde des physionomies très diverses. Venu d’Orient, plus précisément d’Inde la licorne est généralement comparée à un cerf blanc avec une corne sur le front. Sa blancheur symbolise la virginité la plus pure et exclue toute dissimulation au plaisir des sens. Elle est associée à la conception de Jésus par la Vierge Marie, à l’amour et à l’espoir. 

La légende rapporte que pour chasser la licorne, il convient de placer une jeune femme vierge et pure loin dans une clairière de la forêt. La licorne attirée par l’odeur ou le parfum de la vierge s’approche d’elle et pose sa tête sur son cœur. Certaines scènes représentent la licorne avec sa corne contre le front de la vierge en marque de pureté.

À ce moment le chasseur peut se saisir de la bête. Attention la licorne est puissante et redoutable, elle saura se défendre. Voilà peut-être une nouvelle allégorie de l’homme dans un combat intérieur en quête des vertus cardinales force, tempérance, justice et prudence.

Le cerf

Le cerf

Le cerf est vénéré chez les Celtes comme chez les Germains et dans les pays nordiques, un culte identique à celui du taureau peut lui être associé. C’est un Seigneur, un chef, un guide qui agit en pleine responsabilité pour conduire sa harde. Le cerf est présent lors du festin offert par Odin ou Wotan à ses guerriers, il incarne la fierté et la grandeur.

Cermunnos le Dieu celte porte une ramure de cerf, homme, viril. Lors des fêtes de Beltaine le cerf exprime une sexualité exacerbée et séduit la biche, à ce moment il est plus redoutable que la force du sanglier. 

Cermunnos est un Dieu de la forêt qui incarne également le cycle biologique de la nature entre vie et mort et le renouvellement de ses bois. 

Lors d’un rituel druidique, le cerf symbolise les forces du sud, de la chaleur, du soleil, du feu et du sang. Sa puissance lui permet de préserver la paix au centre du cercle. L’encens parcourt le cercle depuis le cerf pour revenir à lui après avoir consacré le cercle.

Le moyen-âge reprend les vertus des civilisations passées allant jusqu’à parler du cerf blanc ou du cerf doré. Dans tous les cas de figure chasser cerf est l’apanage Seigneur. C’est un combat noble. L’histoire ne préservera pas cet honneur au cerf.

Le bestiaire considère que le cerf est l’ennemi du serpent. Le cerf va puiser de l’eau à la source et la rejette dans le trou de serpent, alors il aspire et avale le serpent, le croquant au passage. Seulement le venin du serpent est si puissant que le cerf revient à la source pour éteindre définitivement le feu intérieur qui pourrait le dévorer. Voilà l’image du bon chrétien qui revient toujours à la source des écritures pour se préserver du mal.

Le rat

Le rat fut introduit en Europe avec le retour des bateaux des croisés de Palestine. Plus tardivement le rat brun arrive de chine vers le 15ème siècle.

Rats de la Basilique de Vézelay

Le rat est souvent figuré dans les bâtiments religieux sous forme de petites sculptures. L’interprétation qui lui est apportée est négative, voleur, pilleur et porteur de maladies il aura été le responsable de la peste noire en Europe et aura entrainé la perte du tiers de la population. 

Sa popularité est faite.

Rats à Saint Cernin. Toulouse

Le rat n’a aucune antériorité culturelle en Europe, il est absent dans les légendes et mythologies celtiques.

Avant lui, seules les souris connaissaient un statut de nuisible pillant et infectant les réserves de graines dans la maison.

La belette était le principal prédateur jusqu’au moyen-âge mais avec l’arrivée du rat le chat fut désormais considéré comme plus efficace.

Alors le rat se substitua au chat dans son aspect négatif du chat et endossa le rôle d’acolyte du diable et des sorcières.

Le rat est représenté à Vézelay au pied de la colonne gauche de la façade occidentale de la basilique.  Quatre rats s’attaquent à la colonne

Le rat est également présent dans la crypte de la Cathédrale de Saint Cernin à Toulouse. Les voilà en train de grignoter le monde qui résiste grâce la force de la spiritualité. Deux rats s’attaquent à un globe surmonté d’une croix, le symbole de l’orbe est mis en danger.

Les illustrations de cette page ont été inspirées pour partie de l’ouvrage de Michel Pastoureau aux éditions du Seuil. Bestiaires du Moyen-Age.

A l’attention du lecteur les dessins s’attachent davantage à la caractéristique de l’animal qu’à sa vraisemblance zoologique.

Les ruses du renard

Les ruses du Renard (vers 1240) Bestiaire latin. Oxford, The Bodleian Library. Page 130 du livre de Michel Patoureau